--------------------PROPOS DE MISE EN SCENE--------------------

"...rendre chair..."



choix des textes : quels chants ?

Faire le choix des "Chants de Maldoror" de Lautréamont, comme matériau de spectacle, c'est s'inscrire d'emblée dans la perspective d'un travail inhabituel. L'oeuvre ne répond à aucun critère "théâtral" classique : pas de succession de scènes dialoguées avec des personnages, aucune chronologie développant un récit ; il ne s'agit pas non plus d'un long poème structuré (comme peut être "Le Bateau Ivre", d'Arthur RIMBAUD, par exemple), encore moins d'un monologue ou d'un récitatif lyrique pour un homme seul.

L'oeuvre est "ailleurs" : marginale, flamboyante, inclassable, véritable "diamant noir" de la littérature française, et c'est à la restitution, disons plutôt à la re-composition de ses climats, de ses ambiances sulfureuses, de sa sourde violence, mais aussi de sa sombre beauté, auquel le travail scénique s'est attaché.

Le spectacle ne prétend pas présenter l'intégralité des "Chants de Maldoror". A travers le choix de sept strophes caractéristiques de l'oeuvre, il s'agit de porter sur scène des thèmes universels qui résonnent aux oreilles du spectateur d'aujourd'hui : l'angoisse devant la Mort ou l'Infini ; la fragilité de l'Etre Humain prêt à basculer dans la folie ; la cruauté et la violence gratuite et soudaine ; la solitude dans la différence. J'ai écarté volontairement, ce qui est pourtant un des thèmes centraux des "Chants de Maldoror", à savoir l'imprécation à Dieu, au Créateur. Cette provocation, qui avait une réelle résonance à la fin du XIXème siècle empreint de catholicisme dominant, m'a semblé tout à coup obsolète et terriblement datée, épigone d'un courant noir du Romantisme qui parcourt ce siècle, de GOETHE à BYRON en passant par MISCKIEWICKZ, Anne RADCLIFFE, Eugène SUE ou même Charles BAUDELAIRE.


une scénographie de l'intime


Le travail dramaturgique a conduit rapidement à construire un dispositif scénique différent du traditionnel dispositif "en frontal" : mettre le public en position de témoin (voire de complice) dans une sorte de cérémonie théâtrale plutôt que de le tenir à distance en spectateur passif ; réaliser une totale proximité avec les actions de jeu (4 à 5 mètres, pas plus !) en cherchant un effet d'intimité, voire de voyeurisme. Les "témoins" sont disposés en demi-cercle sans rupture "scène/salle", dans une semi-arène qui n'est pas sans évoquer une sorte de "corrida de salon" : présence de la violence, du sang, de la mort, du souffle des acteurs, de l'intensité de leur jeu et de la précision de leur gestuelle.

Peu d'éléments de décor sont utilisés afin de conserver au spectacle son épure de rituel ; en revanche, des accessoires sont malaxés, déchirés, triturés par les comédiens (poupée, tissus, cordes de pendus...). Une matière brute (terre et feuilles mortes) couvre le sol sur la totalité de l'aire de jeu.



voix et corps au paroxysme


Dans cette proposition scénographique de "re-composition" de l'univers des "Chants de Maldoror", le travail vocal va prendre une importance toute particulière. Il ne s'agit plus du tout de "bien dire" le texte (comme dans le cadre d'un récital poétique) mais, au contraire, tout en respectant parfaitement la compréhension de celui-ci, d'utiliser la voix humaine dans sa brutalité, dans toutes ses ressources paroxysmiques de sonorités : rechercher la fêlure, la cassure, la vibration dans l'aigu ou le grave, passer du "chuchoté" au "hurlé", en explorant toute la gamme des possibilités, bref, préférer Janis JOPLIN à Sarah BERNHARDT !!
Travail difficile, précis, exigeant, utilisant, comme outils, des techniques issues du chant, de la maitrise de la respiration ainsi que des exercices sur les "résonances du corps", inventés en son temps par le polonais Jerzy GROTOWSKI, dans son Théâtre-Laboratoire. La production de ces "sons du corps" inhabituels, étranges, projetés en totale impudeur et complète intimité par les comédiens, participe à l'effet "coup de poing" recherché sur le spectateur.

Il en va de même pour le travail corporel : la représentation du spectacle nécessite un engagement physique important et sans faille de la part des comédiens, passant par la maitrise parfaite du corps et des muscles et l'invention de formes corporelles : angulosités, fractures, crispations, tétanisations des visages ou des membres, en réponse aux propositions extrêmes de Lautréamont.

Les comédiens ne peuvent faire l'économie d'être en deçà du texte, de se retrancher derrière. Ils doivent littéralement investir le texte, le "rendre chair" (l'expression, si jolie, est de Michel BOUQUET) et pour cela, revenir aux fondamentaux de l'art théâtral : utiliser pleinement la voix et le corps pour l'expression d'émotions. Il ne s'agit pas, finalement, d ' a u t r e chose !!


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