-------------ISIDORE DUCASSE, COMTE DE LAUTREAMONT-------------


"Un auteur et son double"



La famille Ducasse a ses racines à Bazet, petit village rural situé à quelques kilomètres de TARBES, dans les Hautes-Pyrénées. Le père et la mère d'Isidore, portés par cette impressionnante immigration du milieu du XIXème siècle qui emporte bigourdans, basques et béarnais vers l'Amérique du Sud, débarquent en Uruguay, dans le port de Montevideo. Isidore DUCASSE y naîtra en 1846 (Jules LAFORGUE et Jules SUPERVIELLE, autres poètes majeurs de la littérature française, d'origine bigourdane et basque, verront le jour eux aussi à Montevideo). Il mourra à Paris, en 1870, à l'âge de 24 ans.

Véritable "étoile filante" dans le ciel des Lettres Françaises, Isidore DUCASSE s'est littéralement fondu dans son œuvre, "les Chants de Maldoror", jusqu'à disparaître derrière le pseudonyme qu'il s'est lui-même choisi : "Le Comte de LAUTREAMONT".
De DUCASSE, on sait peu de choses ; rien de ses 13 premières années à Montevideo, si ce n'est que sa mère se suicidât peu après sa naissance. Il avait 1 an et 8 mois.
En 1859, son père, alors chancelier à l'Ambassade de France, l'envoie à l'âge de 13 ans, faire ses études en France, à proximité du berceau familial. Il figure comme interne aux Lycées de Tarbes (1859-1862), puis de Pau (1863-1865).
Il ressentira ces 6 longues années d'internat, comme un véritable emprisonnement, ne sortant qu'à l'occasion de vacances scolaires, pendant lesquelles il est accueilli chez ses oncles et tantes paternels, à Bazet. Il fut un élève terne et soumis, sans histoire. Un des rares témoignages directs sur Isidore DUCASSE date de ces "années de plomb". Son condisciple du Lycée de Pau, Paul LESPES, le décrira, bien des années plus tard, comme "… un grand jeune homme mince, le dos un peu voûté, le teint pâle, les cheveux longs tombant en travers sur le front, la voix aigrelette. Sa physionomie n'avait rien d'attirant …"
Adolescent falot, maladif, sans racines, sans amis, il est de santé fragile et se plaindra régulièrement de violentes douleurs à la tête. On peut aisément supposer que c'est à cette période de sa vie qu'Isidore DUCASSE se réfugie dans l'imaginaire, le fantastique, réaction de révolte faisant éclater, par la violence de sa pensée, les murailles de l'internat qui l'emprisonne.
"… Il était d'ordinaire triste et silencieux et comme replié sur lui-même. Dans la salle d'études, il passait des heures entières, les coudes appuyés sur son pupitre, les mains sur le front et les yeux fixés sur un livre classique qu'il ne lisait point ; on voyait qu'il était plongé dans une rêverie …". (Paul LESPES).

Pendant les deux années suivantes (1866-1867), aucune trace d'Isidore DUCASSE. Années essentielles pourtant, puisqu'elles correspondent très certainement à la rédaction du premier Chant.

Il réapparaît en 1868 à Paris. Quelle obscure motivation a poussé le jeune lycéen tarbais Isidore DUCASSE à "monter à Paris", à l'âge de 21 ans, pour se transmuer en sulfureux "Comte de LAUTREAMONT" et envisager une carrière d'homme de lettres ? Difficile d'élucider cet étrange cas de "schizophrénie littéraire" dans laquelle un individu terne, transparent, sans saveur pourrait-on dire, donne naissance à un "autre", sorte de double en négatif, phénix flamboyant, provocateur, s'enivrant de tous les excès. D'autant plus que d'autres éléments ajoutent au mystère de la personnalité de l'auteur des "Chants de Maldoror" : aucun portrait connu et une seule photographie retrouvée au milieu des années 1970.

Isidore DUCASSE est resté pendant plus d'un siècle un écrivain sans visage. Aucun manuscrit, brouillon ou notes et esquisses des "Chants de Maldoror" ; l'œuvre surgit véritablement du néant.
La vie d'Isidore DUCASSE, à Paris, reste elle aussi une énigme : il n'y connaît personne, n'y lie aucune amitié, ne fréquente aucune Ecole ou aucun Cénacle. Il passe les deux dernières années de sa vie, en reclus, dans plusieurs chambres d'hôtel de luxe des Grands Boulevards, ne sortant que rarement, "… Je suis chez moi à toute heure du jour…" ( Lettre au banquier DARASSE), composant plus qu'écrivant la fin des "Chants de Maldoror". "…Il n'écrivait que la nuit, assis à son piano. Il déclamait, il forgeait ses phrases, plaquant ses prosopopées avec des accords …" (Témoignage d'Albert LACROIX, Editeur des "Chants de Maldoror", qu'il renonça à diffuser ; devant la virulence des propos, il craignit la réaction du Procureur Général).

Durant les derniers mois de sa vie, il rédige et fait publier sous son vrai nom d'Isidore DUCASSE, un recueil de Poésies, dans lequel il réfute totalement les outrances des "Chants de Maldoror" : "… J'ai complètement changé pour ne chanter exclusivement que l'espoir, l'espérance, le calme, le bonheur, le devoir. Je renoue la chaîne du bon sens et du sang froid …" (Lettre au banquier DARASSE, dernière lettre connue d'Isidore DUCASSE.) Ce repentir tardif et moralisateur, comme si Isidore DUCASSE avait à se faire pardonner les débordements du Comte de Lautréamont, n'atteint à aucun moment la magnificence des "Chants de Maldoror" et ne laissera aucune trace dans l'histoire de la littérature.
Isidore DUCASSE quitte ce monde, comme il a vécu, en toute discrétion. Il meurt brutalement, dans sa chambre, dans la nuit du 24 novembre 1870, pendant le Siège de Paris. Son hôtelier et un garçon d'étage signent l'acte constatant le décès, "sans autres renseignements".
Sa dépouille sera inhumée dans une concession temporaire, au cimetière Montmartre. On ne sait ce qu'elle deviendra. Isidore DUCASSE, jeune homme falot de 24 ans, s'est définitivement dissout dans son double créé de toutes pièces : "Le Comte de LAUTREAMONT".


retour en haut de page

Aucun commentaire: