"Les délices de la cruauté"
Peu d'œuvres ont la capacité de marquer l'Histoire de la littérature française au fer rouge : "Les Illuminations" d'Arthur Rimbaud, "Le Voyage au bout de la nuit" de Louis-Ferdinand Céline… quelques rares autres encore…
"Les Chants de Maldoror" de Lautréamont sont de cette trempe.
Publiés à partir de 1868, œuvre unique d'un jeune homme de 22 ans, ils sont conçus, dès les premières lignes, comme une œuvre de rupture. "Il n'est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger".
Fils (ou plutôt petit-fils) des romantiques du XIXème siècle, il repousse les "grands aînés" à l'intérieur de leurs œuvres mêmes et traite Lamartine, Hugo, Musset de "femmelettes" ou de "grandes têtes molles, toujours à pleurnicher". Le propos des Chants de Maldoror est ailleurs : chanter et louer l'obscur dans l'Etre Humain.
"Il y en a qui écrivent pour rechercher les applaudissements humains au moyen de nobles qualités du cœur. Moi, je fais servir mon génie à peindre les délices de la cruauté".
La laudation du Mal étant posée comme postulat, l'œuvre se déploie en six chants grandioses, eux-mêmes divisés en strophes, autour du personnage de Maldoror, sorte de bras armé de l'auteur, le faisant se confronter, dans une "flamboyance" continuelle et sans chronologie aucune, aux éléments ("Vieil océan…"), au Créateur ("Combat du Bien contre le Mal"), aux hommes et à leurs vices, aux animaux monstrueux et agressifs, créant un bestiaire fantasmagorique hallucinant. Maldoror, lui-même, par des procédés de transsubstantiation, devient, au gré des Chants, aigle, crabe tourteau, vautour, grillon, poulpe ou requin pour parcourir l' Espace et "exhaler son haleine empoisonnée". Il répand dans son sillage, meurtres, mutilations, viols, profanations, bousculant préjugés et convenances morales dans sa marche d'archange exterminateur ou de "dynamiteur archangélique", selon la formule de Julien Gracq.
Oeuvre dense, sans concessions, elle brille également d'un éclat particulier par la fulgurance et la limpidité de son style (un des plus beaux de la langue française), son baroque excessif, sa puissance à créer des images insolites, inattendues, d'une violence saugrenue et non dénuée d'humour. Les comparaisons qui fleurissent tout au long des "Chants de Maldoror", les fameux "… beau comme…" ( "… beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie…"), ont fait reconnaître Lautréamont par André Breton, Louis Aragon ou Philippe Soupault comme un des pères fondateurs du surréalisme. Salvador Dali le cite comme l'auteur ayant "définitivement modifié sa vision des choses du Monde".
"Les Chants de Maldoror" restent, encore aujourd'hui, une œuvre à part, étonnement contemporaine, véritable brûlot de violences et de provocations, auréolée d'une grande part d'inconnu sur la personnalité de son auteur, ce qui ajoute au fascinant mystère qui l'entoure.
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